vendredi 15 mai 2009

Bulfuckingarie ou le journal d'un passé en mouvement, chapitre 20


Abracadabra
Il y en aurait des choses à raconter sur ces deux derniers jours. Et pourtant je suis en mode stand-by ne faisant que le strict minimum de choses à faire et n’acceptant de boire un café que si véritablement on me surprend juste devant la porte d’un bistro. Mais les bulgares sont doués, il ne faut pas les sous-estimer en ce qui concerne leurs capacités à te choper le café dans le sac. J’ai dormi tant que j’ai pu, mangé avalé autant d’Augmentin que j’ai pu et cela va un peu mieux. Et oui, je suis navrée de vous décevoir, seulement un peu. Je n’y peux rien moi, c’est comme cela : mon corps réchigne à se laisser guérir comme ça. Il a raison, on ne sait jamais comment cela peut se terminer ces histoires de guérisons miracles.
Je voulais vous raconter l’histoire du voile, mais ensuite je me suis dit que ce n’était pas nécessaire. Puis j’ai pensé à vous raconter l’histoire de Sarah Bernahrdt et je me suis dit que ce n’était pas nécessaire. J’ai songé à vous raconter l’histoire du dentiste ou de la buanderie à nouveau et j’ai aussitôt renoncé. Voyez-vous l’Augmentin, s’il améliore un peu mon état de santé semble détériorer beaucoup mon moral et je suis bien incapable de m’attarder sérieusement sur les histoires marrantes, et le voile, Bernhardt, le dentiste et la buanderie en sont. Je vais donc plutôt vous raconter des histoires d’odeur. Ou plutôt de puanteur. Take it or leave it. A Varna, certes la neige ne se recouvre pas d’une pellicule grise en quelques heures en raison de la pollution, mais les odeurs plus nauséabondes les unes que les autres font beaucoup de tort au système digestif des habitants j’en suis sure. Le fumet le plus insupportable est celui de l’argent sale. Et oui, contrairement a l’idée fortement implantée dans nos esprits helvétiques (schlah schlah séance d’auto flagellation), l’argent a bel et bien une odeur. Et elle sent très très mauvais. De toutes les odeurs que j’ai senties ici en Bulgarie c’est celle dont la fragrance est la plus entêtante. Il est très difficile de s’en débarrasser. Et contrairement à ce que vous pourriez penser vu mes précédents messages, ce n’est pas la misère qui rend l’odeur de l’argent, lorsqu’elle nous fait l’honneur de se pointer si frappante, mais bien le luxe, l’outrance, les excès, le tape à l’œil. Par ou commencer? Vous ai-je déjà parleé de l’étalage de boutiques mono-marques à Varna? A part à NYC je n’avais nul part vu de magasins représentant une seule marque de baskets par exemple. Ici, dans le centre ville de Varna, Adidas, Nike, Reebok etc. ont leurs propres enseignes. Des franchises bien sur, vendues probablement à quelques mafieux ukrainiens, géorgiens ou russes, qui sait? Les bulgares semblent être si pauvres qu’ils ne peuvent même pas s’offrir leur propre mafia, ou du moins, ils ne peuvent plus. C’est devenu
trop côté la mafia en Bulgarie, seuls les excessivement riches peuvent en faire partie, c’est un club très fermé. Les américains se sont fait un plaisir, et ceci des 1993 apparemment, d’accorder toutes les franchises possibles et imaginables aux bulgares. Varna a donc trois Mc Donalds au moins (je n ai pas encore visité tous les quartiers de la ville), mais bon, le Mc Donald cela peut encore se concevoir. Au moins il y a des gens qui s’y nourrissent, parfois même il est plein, et finalement cela a son charme de devoir y attendre un café infect dix minutes car la machine n’était pas en marche. Cela me change des fast-food ouest-européens ou tout est vraiment si « fast » qu’on ne se souvient même pas d’y être entrés. Là ou les histoires de franchises me restent un peu dans la gorge c’est lorsqu’elles servent de couverture à des histoires de blanchiment d’argent. Le cas de Pizza Hut est le plus frappant à Varna. Je passe tous les jours devant ce restaurant, et je l’avais déjà remarqué au mois de décembre, (peut-être même vous en avais-je déjà parle) et il est toujours vide. Il y a du personnel, qui sourit avec empressement quand on fait mine de pousser la porte, tout heureux qu’il serait de voir ne serait-ce que deux ou trois quidams en faire autant dans la journée, mais pas de clients. Ou si, très peu de clients. Or l’arcade occupée par ce restaurant est une des plus chères de la ville. Comment peut-on m’expliquer à moi qu’un business man moyen, il n’a pas besoin d’être super futé, en général lorsqu’ils le sont, ils sont déjà à la retraite à trente ans, qui d’un tant soit peu futé, voudrait faire ce métier plus longtemps ? – paie un loyer maximum pour un chaland minimum ? Des salaires, des uniformes, une devanture, une enseigne, une franchise et tout cela depuis plusieurs années alors qu’il y a dans son commerce un maximum de vingt clients par jour ? A mon avis le business man en question envoie son gérant sortir des tickets de caisse de minuit à six heures du matin tous les soirs. Le business man peut alors très honnêtement ne pas payer ses impôts à l’état bulgare. Bon, je suis un peu énervée contre le Pizza Hut probablement car la dernière pizza que j’ai mangée venant de chez eux à Genève m’a rendue malade. Mais enfin, je pourrais en dire autant de toutes ces boutiques de baskets, de la plupart des magasins de bijoux, de prêt-à-porter et tutti quanti. De tous les commerces (boutiques et restaurants confondus) qui sont situés au centre ville, à peine un quart doit rentrer dans ses frais… et pourtant chaque jour quasiment il y en a un nouveau qui ouvre ses portes.
Vous me direz, il doit y avoir des clients sinon cela doit faire bizarre tous ces magasins vides en centre ville. Oui, oui, il y a des gens, mais pas de vrais gens. Si en Suisse la plupart d’entre nous peuvent se permettre un mc do, un pizza hut ou toute autre nourriture pré-mâchée du genre, ici c’est loin d’être le cas. Un Big Mac coûte sept leva (3,5 euros), ce qui représente 1/26ème à peu près du salaire bulgare moyen. Alors on y réfléchit à deux fois avant d’emmener son gosse manger un truc après lequel il ne mettra même pas aune heure avant d’avoir à nouveau faim. Donc on est bien d’accord, ce ne sont pas les vrais gens qui mangent au Mc Donald en Bulgarie, ce sont les mêmes que ceux qui achètent leur pommes de terre au Bon Génie à Genève ou que ceux qui garent leur voiture sur le trottoir juste devant le George V à Paris. Je n’ai rien contre eux, bien au contraire, je les adore, ils semblent être les seuls personnes pour qui l’argent n’est pas un problème, et leur fréquentation a le don de me faire oublier le plus important de mes soucis… m’enfin, nous sommes bien d’accord, ils ne sont pas tout à fait réels. Ils vivent dans un autre monde, voire dans plusieurs autres mondes. Soit, Varna est une des plaques tournantes de l’argent sale, croyez-moi sur parole, ça je peux m’y faire. Après tout, non seulement je suis suissesse, mais je suis qui plus est genevoise et si les histoires de magouilles mafieuses genevoises n’ont pas réussi à m’atteindre le moral, je ne vois pas pourquoi les mêmes histoires transposées en Bulgarie devrait y parvenir. Mais c’est qu’en Suisse, à ma connaissance du moins, la plupart d’entre nous sont honnêtes. Attendez, ne partez pas en courant, je ne me fais pas d’illusions sur la nature humaine… je reprends, la plupart d’entre nous sont bien obligés d’être honnêtes, la loi, le sport national (la délation) etc. nous y obligent. Or ici en Bulgarie, il se trouve que la situation est exactement inverse : la plupart des gens sont malhonnêtes, à nouveau, ne partez pas, je ne jette la pierre à personne, mais oui, la misère, l’histoire économique des cinquante dernières années contraignent la plupart des gens à tricher ou à crever. Et c’est là que cela me rend dingue, car si nous avons mis en place dans notre très chouette Europe de l’Ouest des systèmes permettant que chacun se sente en sécurité chez lui, son assurance chômage prise en charge à cinquante pourcent par son employeur, nous sommes très forts pour prêcher de la main droite une chose et de la gauche son contraire. Je vous donne un exemple directement issu de cette pratique.
Une société de distribution de mécaniques médicales dont je tairais le nom est, ici à Varna, une des deux représentantes officielles de la firme Olympus. Ils vendent pour le compte de celle-ci, en percevant une commission plus ou moins importante, on s’en moque, des endoscopes, des machins-machins à système optique (c’est cela qu’il faut retenir) etc. Ces bécanes valent des sommes qui tournent autour des 10'000, 20'000 euros selon. Cette firme dont le siège est à Sofia emploie plusieurs centaines de personnes dans plusieurs villes du pays. Il se trouve que pas un seul des employés de cette société n’est assuré convenablement. Je vous épargne le laïus sur les assurances accident, travail etc. qui ne sont même pas envisageables et vous parlerai uniquement de la seule des ces assurances qui soit suffisamment obligatoire pour être respectée en principe : l’assurance chômage. Aucun des employés de cette firme n’est déclaré à son réel salaire auprès de l’assurance chômage. Pour faire simple, la firme devant payer la moitié de l’assurance de ses employés, préfère déclarer leur ensemble au salaire minimum afin de diminuer ses charges. Et le plus incroyable est que les employés acceptent. Les bulgares ont été trop longtemps communistes pour se permettre la moindre parole qui puisse être taxée de syndicalisme et trop crève-la-faim pour pouvoir se permettre d’ouvrir leur gueule tout court… Là ou cela atteint des proportions tellement dingue que je suis à deux doigts de prendre l’avion pour aller mettre mon poing dans la figure de M. Olympus (entre autres), c’est lorsqu’on apprend que lors de la vente d’une de ses supers bécanes, la firme dont j’ai tu le nom (mais dois-je vraiment hein ?) joue le jeu de la corruption plus loin encore en versant au décideur (celui qui valide l’achat chez le client) jusqu’à quinze pourcent du prix de la machine en bakchich. Bien évidemment, tout le monde ne peut se permettre de tels achats, se sont uniquement les hôpitaux d’état qui peuvent disposer de tels fonds. Cela se passe donc comme cela : j’achète un endoscope à 10'000 euros, le commercial me fait une facture de 12'000 et j’empoche les 2000 euros de différence. Une fois que le distributeur s’est servi, le reste de l’argent finit chez Olympus. Olympus filerait (j’utilise le conditionnel, sait-on jamais qui lirait ce mail) donc des dessous de table à ses acheteurs et surtout M. Toutlemonde en Bulgarie se fait 2000 euros d’argent de poche en achetant un ceci ou un cela. Du coup cela explique que les cafés ou l’on paie le même prix qu’à Genève ici à Varna fleurissent. Forcément, les enfants de M. Toutlemonde ils ont une tonne de fric à dépenser. Et le M. Toutlemonde en question n’est pas un mafieux, c’est un fonctionnaire ordinaire qui touche deux cent leva par mois.
Quelqu’un m’a dit que la Bulgarie avait bouclé les vingt-trois des trente chapitres assignés par l’UE afind d’être candidate en 2007. Je vous le demande savez-vous (oui, c’est une question sérieuse) si l’un de ces chapitres est consacré à la corruption, au blanchiment d’argent etc. ? Bon, je vous ai donné quelques exemples comme ça, motivée surtout par ma colère et plus encore par ma quasi-asphyxie ici au cyber café ou tout le monde toraille à mort. La fumée de clope, je le découvre, cela énerve les tuberculeux. Je ne sais pas si je vous donne véritablement les moyens de vous faire une micro-idée en rationnalisant ainsi. Je vais donc être partiale et je me fiche que ma formation m’ait avant tout appris à relativiser : les bulgares sont des crève-la-faim corrompus. Et ceci à tous les niveaux. Tiens, même mon appartement que je n’ai pas pu louer sans arnaques. Nous avons fait deux contrats, un à destination de mon employeur en Suisse sur lequel le vrai montant du loyer est mentionné, l’autre sur lequel seule la moitié de ce montant est mentionnée à destination du bureau des impôt local. J’ai bien essayé d’y échapper mais pas moeen, tous les appartement que l’on m’a proposés étaient dans le même cas de figure et cette petite « dalavera » (arnaque en bulgare), semble être des plus communes. On ne peut même pas leur en vouloir tant c’est le système sous le système qui maintient tout le monde soudé autour de lui. C’est bien comme ça en Tatounasie, mais il n’y est pas question sérieusement d’UE ? Je sais, d’accord, j’admets, beaucoup d’entre nous cherchent à gruger les impôts, soyons réalistes, c’est très très con puisqu’il paraît que les bénéficiaires des impôts c’est ceux-là même qui les paient, mais c’est compréhensible. Mais que diriez-vous d’un endroit ou vos droits élémentaires à la vie sont remis en question par ce genre de pratiques ? que penser de tous les enfants qui crèvent la dalle dans les rues de Varna car leurs parents licenciés n’ont touché que le minimum de leur salaire via le service du chômage et encore, seulement pendant trois mois ? Moi je trouve cela inadmissible. Triste. Alors merde, cela veut dire quoi que les bulgares n’ont pas la fibre révolutionnaire? C’est vrai, c’est possible, après tout ce sont les russes qui ont chassé les turcs de Bulgarie et c’est les américains qui en ont chassé les russes. Les bulgares eux se sont contentés d’instaurer des jours de commémoration pour le tout. Mais il doit bien y avoir un Gandhi quelque part en Bulgarie ? Qui échoue certes, mais qui s’exprime ? Il doit bien exister ce type prêt à sacrifier sa peau pour le bien être des générations future ET qui parvienne à se faire entendre ? Ou alors est-ce si démodé de militer après tant d’années de communisme ? Je dis ça moi, j’ai l’air de râler c’est vrai, mais ne me faites pas confiance, gare, gare, il n’y a pas si longtemps, j’ai fait cette réflexion à un ami partant protester contre les colonies israéliennes en Palestine qu’aucune cause ne valait la mort d’un homme. Et bien, j’ai été conne, j’ai eu tort. Elles sont nombreuses, bien au contraire...
Pourquoi, non mais sérieusement pourquoi, expliquez moi pourquoi dans des pays comme.. au hasard, la Tatounasie et la Bulgarie n’y a-t-il plus jamais de grand insurgé qui sache faire entendre sa cause ? Et ne me ramenez pas la crêpe frite hein.. il s’est certes insurgé, mais il a fini par céder. A quel prix je préfère ne pas le savoir. Et ces Tatounasiens et ces bulgares qui passent leur temps à râler que a) ce n’est pas possible à cause de b) qui n’est pas possible à cause de c) qui n’est pas possible à cause de d), me fatiguent véritablement. Aujourd’hui, malgré mes bronches poussives, j’ai gueulé un bon coup contre l’employée de la firme représentant Olympus d’être assez crétine pour accepter une situation pareille. Je l’aime bien pourtant, et puis surtout je suis très consciente que les bulgares ont une culture politique, économique, syndicalistes biaisée, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’oublier que la connerie aussi est tout à fait relative et qu’ici ou à Genève, les cons ne sont pas les mêmes. Mea culpa.
A part tout cela? Il fait beau et pour la première fois de ma vie j’ai été alléchée par une odeur de pommes. En Suisse je m’éloigne de certains étalages trop odorants pour être honnêtes. En Bulgarie, l’odeur des pommes peut vous atteindre en pleine gueule depuis l’autre côté de la rue. Si crève-la-faim que les engrais chimiques leurs sont trop couteux et d’un coup de baguette tragique toute leur production agricole est bio !
Prenez soin de vous comme un bulgare le ferait.
Zafrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire