mardi 1 novembre 2011

Abracadabra le Conseil Fédéral


C'est quoi cette formule magique dont j'entends parler depuis vingt ans (que je vote) sans savoir exactement d'où ça vient tout en ressentant au fond de mes tripes que c'est juste, que c'est bon, que c'est rassurant, que c'est confortable, que c'est bien (sic), bref, que c'est suisse?

Une règle non-dite sur la composition quadripartite du gouvernement Suisse. Tacitement les principaux partis politiques du pays constituent le gouvernement selon leurs alliances, leurs accords et au mieux leur volonté de consensus, au pire leurs compromissions, leurs ambitions, leurs silences et leur flou(s), évidemment dans l'idée de représenter au mieux l'électorat suisse, dans une idée de système de concordance.

La légitimité et la nécessité de ces négociations inter-partis pourrait déjà dater de 1848 au moment où des tendances parfois très opposées ont commencé à secouer le Conseil Fédéral. A l'époque l'anticléricalisme et l'antijésuitisme sont de forts dénominateurs communs entre les différentes tendances mais cela n'empêche pas qu'en 1891, pour la première fois un non-radical, le lucernois Josef Zemp, premier démocrate-chrétien, entre au Conseil Fédéral.

C'est à travers plusieurs claques électorales que les radicaux font passer de la théorie à une réalité officieuse la fameuse formule magique. Tout en s'alliant aux partis bourgeois pour gouverner contre le socialisme, ils réussissent le paradoxe de donner naissance à l'idée de la nécessité d'une stratégie consistant à intégrer ces mêmes socialistes pour être surs de les maîtriser, idée en gestation depuis les années 20 et s'imposant petit à petit.

En 1919 un deuxième conseiller fédéral catholique conservateur entre au CF, le fribourgeois Jean-Marie Musy. Les radicaux sont donc cinq conseillers fédéraux sur sept qui constituent le Conseil Fédéral: En 1929 l'élection du bernois Rudolf Minger représente les tendances de droite populaire qui travaillent l'électorat suisse depuis une dizaine d'années. Avec lui c'est l'entrée au Conseil Fédéral de l'ancêtre de l'UDC, le parti agrarien. Au même moment, le parti socialiste multiplie par deux le nombre de ses mandats au parlement (l'Assemblée Fédérale) et zou, exit l'hégémonie radicale ou presque... Se forme alors la première mouture de la formule magique en une alliance entre les radicaux, les catholiques et les conservateurs protestants, tous unis contre l'internationale... socialiste. 4 radicaux, 2 conservateurs catholiques, 1 agrarien.

En 1943 les socialistes ayant montré patte blanche sur les points les plus importants aux yeux des conservateurs (renoncer à la révolution, défendre la nation), le parlement fédéral est bien obligé d'élire un conseiller fédéral socialiste, le bernois Ernst Nobs. En 1951 il est remplacé par Max Weber qui démissionne en 1953 suite à sa défaite électorale sur le projet de réforme fiscale.

Les socialistes quittent le gouvernement et posent une condition pour y revenir: deux sièges. Ils s'allient aux catholiques conservateurs pour permettre à ceux-ci l'obtention d'un troisième siège en 1954. Siège que les PDC promettent de leur rendre dès que possible. En 1959, un renouvellement intégral du gouvernement s'impose. Quatre conseillers fédéraux partent et les trois restants (radicaux et agrarien) acceptent une réélection. 2 radicaux, 2 socialistes, 2 conservateurs catholiques et 1 agrarien. Le travail d'intégration des ennemis politiques initié par les radicaux est finalisé par les catholiques conservateurs et la formule magique telle qu'on la connait aujourd'hui est née.

A différents moments de son histoire (1983, exit un socialiste, 2003, exit un PDC, entrée d'un deuxième UDC, Blocher etc.) cette formule magique est secouée et on en vient à se dire que ses aspects officieux, non-dits et surtout non-écrits rendent certes plus hallucinant encore l'application de ce consensus helvète mais sont bien dangereux au regard de la réalité politique. Cette formule ne peut en effet tenir que si elle continue, ainsi que ce fut le cas dès qu'elle germa, à représenter l'électorat suisse, quoiqu'il en coûte en terme de régression et/ou refus de progrès social ou de réalisme de celui-ci.

L'article 177 garantissant le respect de la collégialité, écrit noir sur blanc lui, a permis à ce consensus de tenir la route toutes ces années, principalement car les conseillers fédéraux, aussitôt élus, ont appliqué jusqu'à la désolidarisation la non-représentation de leur formation politique.Les conseillers fédéraux deviennent dès qu'ils sont élus des politiciens méta-idéologies et intègrent dans leur pratique politique le sens même de cette formule magique en ne travaillant que par et pour le consensus, encore lui.

C'est grâce à cette culture "article 177" que Blocher a été "viré" en 2007 via manoeuvres peut-être contestables, clairement contestées, mais OH combien aimables, par les membres de l'Assemblée Fédérale. Malheureusement ce renvoi surtout symbolique a ouvert la porte à un comportement voyou de l'UDC qui du jour au lendemain a décidé que contrairement à ce qui est inscrit dans la constitution, ce sont les groupes parlementaires et non le parlement (l'Assemblée Fédérale) qui désigne les candidats au Conseil Fédéral. Ce quasi putsch politique, fortement critiqué par tous les partis, y compris par certaines tendances de l'UDC, a lui aussi mis en danger l'application de la fameuse formule magique.

Bref, le consensus helvétique peut à la fois sembler fort et fragile. Fort car il parvient malgré tout à refléter l'électorat sans trop céder aux extrêmes auxquels celui-ci cède parfois, fragile car il est à la merci d'une trop grosse secousse parlementaire... ou tout simplement à la malveillance de dirigeants avides de pouvoir.

Voir "conseil fédéral formule magique", Wikipédia
Largement inspiré de "Conseil Fédéral, plus qu'une arithmétique béate", in "L'Hebdo", 18 décembre 2008



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