Venus in furs
Hier matin, j’étais comme je vous l’ai dit conviée chez Monsieur le Marie pour une sauterie dont j’ignorais la raison. Je me suis levée aux aurores, vers huit heures, passablement épuisée par la soirée de la veille passée avec les amis musiciens de Svetlana. Nous avons beaucoup parlé, et beaucoup traduit par conséquence, et au réveil j’avais encore la bouche toute sèche. Mes vêtements étant encore au pressing, je n’avais rien de correct à me mettre sur le dos si ce n’est un pantalons propre, c’est à dire que je n’ai porté qu’une fois, mais dont l’arrière était maculé de boue, comme tous les pantalons à chaque fois que je fais ne serait-ce qu’un mini trajet à pieds. J’ai donc décidé de tout jouer sur mon rouge numéro quarante-sept de Christian Dior et de me pointer là-bas la bouche, le pantalon crotté certes, mais la bouche en cœur. Bouyana avait chargé l’une des femmes de ménage, Nadja, de me prendre devant ma porte à neuf heures pour ne me lâcher qu’une fois que je serais en sécurité à la mairie. Celle-ci est arrivée pile à l’heure et nous nous avons marché en direction de l’arrêt du bus devant nous conduire à la mairie. Moi qui me régale d’ordinaire en Bulgarie de passer inaperçue tant je n’ouvre pas la bouche, j’ai été servie… Nadja ne parlant aucune autre langue que le bulgare et n’en était pas moins extrêmement communicative, je m’attendais à devoir y aller de mon petit bulgare. Evidemment cela n’a pas loup et non seulement je me suis humiliée dans le bus car je ne pouvais faire aucune phrase avec un verbe qui soit correctement conjugué, mais qui plus est, Nadja fait partie de ces mauvais plaisantins qui pensent qu’en parlant plus fort, toujours plus fort, cela aura un effet positif sur la capacité de comprendre des non bulgarophones. Elle avait beaucoup de choses à me dire sur le froid, la neige, l’hiver et également beaucoup de questions à me poser sur le climat en Suisse. Tant que je comprenais, les décibels de sa voix ne dépassaient pas la norme, mais dès qu’elle voyait que je ne comprenais pas un mot, elle se mettait à le répéter en criant à tue-tête. Cela a été le cas lorsqu’elle m’a posé une question sur la Suisse en utilisant le mot « zima ». Zima, zima, zima, zima au point qu’un des petits vieux assis derrière nous a commencé à ronchonner et à lui taper sur l’épaule pour qu’elle baisse le ton. Rien à faire, elle a continué à crier : chvetzaria zimata, l’hiver suisse, jusqu’à ce que vaincue, je me lance dans une litanie effrénée de da, da, da en y allant de mon petit dodelinement de tête. Bien évidemment cela n’a fait que l’encourager à crier plus fort, sa méthode venant selon elle de faire ses preuves. J’ai amèrement regretté ma lâcheté durant le terriblement long trajet jusqu’à la mairie mais n’ai rien pu faire de plus que de rester zen et de faire une rapide prière à Saint Christophe, saint patron des transports, je n’ai pu penser qu’à lui, pour que le bus aille plus vite, plus vite, plus vite. Lorsque nous sommes enfin arrivées, je me suis mordu les doits de ne pas avoir regardé avant de prendre rendez-vous avec elle mon plan de Varna ce qui m’aurait permis de réaliser que je passais devant la mairie en question tous les jours sans la voir.
L’heure matinale, le manque de sommeil et la nervosité aidant, je suis entrée de fort méchante humeur dans le saint des saints de Varna. Bouyana nous attendait dans le hall au rez-de-chaussé, emmitouflée dans une énorme fausse fourrure noire tachetée de blanc, au moins aussi frigorifiée que nous. La neige et le verglas que j’avais depuis une semaine oubliés tant le temps s’était fait clément se sont très vigoureusemetn rappelés à mon souvenir ces trois derniers jours, au point que j’ai recommencé à me lamenter de mon manque de chauffage. Le hall d’entrée de la mairie qui occupe une immense tour en plein centre ville ressemblait à s’y méprendre aux décors des locaux administratifs du film de Terry Gilliam, Brazil. Un rien plus lugubre et plus immense. Viktoria nous a rejoint pour nous servir d’interprète et nous avons rejoint le deuxième puis le troisième étage. D’un étage à l’autre nous avons gravissions un échelon dans le luxe. En effet si le rez-de-chaussée est assez sinistre car il est le lieu de toutes les paperasseries administratives, les étages supérieurs sont occupés par les élus de la commune de Varna et son plus fastueux les uns que les autres. Le corridor dans lequel nous sommes entrées avait un plafond très bas et les murs étaient recouverts de boiseries très seventies et de grandioses peintures coco. Je ne sais plus d’ou me venaient mes idées préconçues sur l’art communiste mais j’ai découvert depuis que je suis ici que j’aime. Rétrospectivement (post-communiste) il est plein d’humour et grandiloquent. On y voit toujours, comme tout le monde le sait, des personnages très WASP dix fois plus grands que nature accomplissant des tâches collectives le regard brillant et les lèvres marquant la joie. Ils tendent souvent les bras vers un horizon qu’on en voit pas mais qu’on imagine très bien… rouge. J’étais curieuse d’en voir plus dans ce bâtiment et de faire quelques repérages pour des photos, mais Bouyana ne m’en a pas laissé le temps car nous devions rejoindre la salle des festivités.
Dans le hall, devant la salle de réception, j’ai été accueuillie par un spectacle sans pareil. Plus d’une centaine de femmes se bousculaient devant la porte. Il y avait quelques hommes aussi mais ils se perdaient totalement dans la foule. J’ai demandé à Bouyan en quel honneur tout le monde était invité ce jour-à, et elle m’a répondu que le maire donnait cette réception pour les fêtes de fin d’année en l’honneur du personnel du département de l’éductation. Toutes ces femmes et une poignée d’hommes, étaient donc les gérants d’établissements d’enseignement à Varna, de la garderie d’enfants à l’université. Visuellement et auditivement cela donne un énorme attroupement de femelles dirigeantes plus bruyantes que les poules d’un élevage industriel. Non seulement toute le monde était agglutiné aux portes, mais qui plus est, toutes ces femmes portaient des fourrures, vraies ou fausses, de toutes les couleurs, de tous les volumes, de toutes les tailles (y compris Viktoria et Bouyana). J ?étais la seule, avec les hommes de l’assemblée, à ne pas porter de peau de bête sur le dos. Il y en avait pour tous les gouts, du vison le plus luxueux à la fausse fourrure la plus fantaisiste composée de pompons blancs sur un fond de pseudo renard terra cota. Un spectacle affligeant et gai à la fois. Durant tout ce temps ou je m’en mettais plein les yeux, Bouyana me tenait par la manche et me propulsait vers les divers convives pour me présenter à eux en y allant de son petit speech sur la Suisse, le projet, l’UE et surtout le Technicum, le saint Technicum. Elle ne manquait pas comma à son habitude de faire la longue liste des langues que je suis supposée parler, en y ajoutant à chaque fois un nouvel idiome.
Un étroit et long tapis rouge bordait le sportes de la salle de réception et j’ai itrès vite vu les gens se presser à l’opposé sans comprendre ce qu’il se passsait avant de voir défiler devant moi les opérateurs de MSAT, la chaîne de télévision locale. Bouyana n’a bien évidememtn pas manqué de tenter mille stratgème pour me mettre en premier plan avec elle et j’ai le plaisir de vous annoncer que toute la Bulgarie a pu voir vendredi soir ma bibine aux infos. J’ai bien tenté de me planquer derrière Viktoria, mais celle-ci mesurant à tout casser un mètre cinquante cela n’a pas été très efficace. Le soir lorsque j’ai retrouvé Svetlana et sa famille, ils n’ont pas manqué de m’affirmer que j’étais en train de devenir une célébrité dans le monde de l’éducation. J’ai serré tellement de mains et j’ai fait au moins autant de sourires, sans pourtant retenir un seul nom, j’ai du mal à y croire moi-même. Chacun y allait de très longues explications sur ses fonctions et malgré les traductions je n’y comprenais toujours rien. Tout ce que j’ai retenu c’est que j’ai rencontré le très grand patron de Bouyana, le grand patron de son patron, et le très grand patron du patron de son patron, et bien sur, le très grand patron, du très grand patron de son très grand patron : le maire. Cela faisait plusieurs jours déjà que je m’imaginais la scène de la propulsion vers le maire et connaissant par avance le speech de Bouyana je m’attendais à devoir deviser avec celui-ci en allemand ayant appris par Svetlana qu’il était parfaitement bilingue ayant fait ses classes secondaires au lycée allemand de Varna. Bien sur cela n’a pas loupé, et si lorsque je l’observais de loin, le maire ressemblait à mes yeux à n’importe quel bulgare qui s’est bien imbibé la veille, de bon matin, confrontée à lui, j’étais très nerveuse et j’en ai perdu le peu d’allemand mondain que je maitrise et j’ai au-delà même de bafouiller, causé un incident diplomatique dont la victime a été Bouyana. En effet si celle-ci tenait tant à ce que je l’accompagne c’était pour pouvoir faire le marketing des initiatives qu’elle prenait (toutes à son honneur par ailleurs, sans aucune ironie) pour améliorer le niveau du réseau d’écoles qu’elle dirigeaient. Or lorsque le maire s’est pointé pour me serrer la main, plutôt que de la laisser prendre la parole et faire les présentations, j’étais si stressée de devoir lui parler teuton que je me suis avancée directement vers lui en lui tendant la main et en lui sortant dans mon plus beau hoch deutsch qui j’étais, pourquoi j’étais là et à quel point j’étais flattée d’avoir été conviée à sa sauterie. Il a enchainé en allemand et s’en est suivie une conversation ubuesque durant laquelle j’ai parlé cette fameuse langue que j’ai crée depuis mon arrivée ici : le charabia multilingue. Le maire, très gentilhomme a prétendu que c’était de l’allemand et m’a assurée que je le parlais très bien et que mes protestations quand à mon appartenance à la zone linguistiques germanophone de la Suisse n’étaient pas nécessaires. Devant mon insistance à lui répéter à quel point mon allemand était médiocre, il a, à plusieurs reprises levé son verre de champagne, à dix heures du mat, nous l’avons fait, pour me dire l’air le plus heureux du monde scotché à son visage : Nasdra vié. Ah oui, j’oublie de vous dire que bien sur, je l’ai tutoyé et qu’il a enchaîné en me donnant du tu, lui aussi. Tout cela n’a donc laissé aucune place aux présentations de Bouyan, que j’ai du coup moi-même présentée en allemand. Monsieur le maire ayant en tout et pour tout deux minutes à consacrer à chacun des convives présents, j’ai vraiment tout gâché pour la gloire du Technicum. Je me suis ensuite rattrapée en faisant da, da, da à moultes reprises sans piper d’autres mots lorsque ce fut au tour du secrétaire préposé à l’éducation (germanophone lui aussi) de venir nous saluer. Bouyana a eu la bonne grâce de ne pas m’en vouloir de mon indélicatesse et tout est bien qui finit bien.
Nous avons ensuite pu regarder un spectacle de danses folkoloriques présenté par une troupe d’enfants de cinq à dix ans et j’ai été très impressionnée par le talent de ces petits mômes qui pour certains avaient à peine l’air de savoir faire pipi tous seul, mais savaient en revanche danser comme des dieux de l’Olympe. Viktoria et moi-même avons enfin pu nous éclipser et laisser cette meute de directeurs d’écoles glapissants se ruer sur les petits gâteaux et autres mignardises qui leur étaient offertes.
Le reste de la journée n’a quasiment été que corvées. Achat d’un billet de bus à la gare routière pour faire le trajet de Varna à Sofia, visite du lycée français de Varna, négociations téléphonique avec un chauffeur de taxi à Sofia pour me faire faire le trajet de la gare routière à l’aéroport à un prix décent etc.
Le soir M. Arracheorganevital et moi-meme étions invités par la famille de Svetlana à un diner bulgare. La mère de Svetlana avait mis les petits plats dans les grands et après d’innombrables rakiyi, salades, gratins de légumes et cie, nous sommes sortis à minuit le vendre en avant mais l’esprit en paix. J’ai été sauvée d’une nuit atroce de digestion grâce à la fameuse tisane à la menthe poivrée sans laquelle je ne vais nulle part et j’ai dormi d’un sommeil paisible nécessaire à mon dernier week-end à Varna en 2002.
A bientôt tous,
Zafrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire