samedi 15 novembre 2008

Bulfuckingarie ou le journal d'un passé en mouvement, chapitre 14


I love Varna in the Winter...
J’ai passé les dernières soixante-douze heures à me battre contre un mal invisible et j’en Presque victorieuse ceci malgré la certitude que psychologiquement il va me falloir des années avant de réussir à me gratter innocemment. J’avoue que les bugs matériels (c’est le cas de le dire) qui s’accumulent depuis mon arrivée me cassent un peu la tête : le froid, mon ignorance du bulgare, les pannes d’électricité, le fait de devoir constamment traduire ce que je dis, les petites et grandes arnaques, les lenteurs administratives, et pour finir les puces et la police !!! Soyons honnêtes, je me passerai bien de tout cela, mais bien évidemment d’un autre côté même pour tout l’or du monde je ne renoncerai pas à ce projet et à ce séjour ici. Certains d’entre vous semblent penser que je fais preuve d’une grandeur d’âme incommensurable ou que je suis d’une générosité et d’un courage sans bornes et je tiens à rectifier le tir. Je ne suis rien de tout cela. On peut même dire que je ne suis pas franchement glorieuse. Il n’y a qu’à faire la liste des toutes mes bévues, maladresses et conneries depuis mon arrivée ici pour vous en persuader. Je reçois ici mille fois au moins ce que je donne. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin en ce qui concerne l’expérience professionnelle, l’apprentissage d’une langue étrangère, les économies financière notables que je vais en percevant un salaire suisse et en vivant en Bulgarie. En revanche, il est peut-être nécessaire que je vous démontre en quoi chaque instant ici, même le plus atroce dermatologiquement parlant est plus enrichissant que des semaines entières passées en Suisse. Chaque moment est complètement nouveau, bien sur certaines situations sont similaires à d’autres que j’ai pu vivre, mais elle craquent pourtant entre mes mains comme une paire de chaussures neuves. Je me suis grâce à ce voyage éloignée de la grisaille hivernale genevoise, je travaille alors qu’il y a quelques semaines encore j’étais au chômage, mon petit cerveau tournait en boucle sur les mêmes problèmes : pas de boulot, pas de fric, peu de visibilité sur des perspectives réjouissantes, des soucis de santé, des prises de tête familiales etc. En quelques heures d’avion j’ai mis entre moi-même et ce quotidien ordinairement difficile des centaines de kilomètres. Je fais un break de mon train-train. Et un break de luxe. Pourquoi de luxe alors que je vais ce soir dormir sur un matelas en mousse à huit euros et moins de quatre centimètres d’épaisseur ? Parce que je suis confrontée au meilleur de moi-même et au pire aussi. J’ai une occasion unique de faire les réajustement nécessaires. Je découvre encore une fois que mes limites sont plus loin que ce que j’imaginais. Que beaucoup de choses qui me semblent depuis Genève tout à fait inenvisageables le sont depuis un ailleurs, Varna. Je me prends en pleine tronche à longueur de journée mes vices, faiblesses et manies de vieille fille avant l’âge. Et tout à la fois, je réalise à quel point il me faut peu pour être heureuse, à quel point je suis débrouillarde et à quel point le bois dont je suis faite (hip hip hip hourrah pour les Zlass, y’en a qui comprennent, y’en a qui comprennent pas) ne se fend pas facilement. J’auto-redore mon égo. Au-delà de cela, je reçois tellement plus que ce que je donne. Certes, je rencontre des difficultés, mais elles ne comptent pour rien quand je fais la somme de toutes les mains secourables qui se sont tendues vers moi. Svetlana consulte régulièrement la presse pour m’aider à trouver un appartement, me sort presque un soir sur deux et me présente plein de gens intéressants, me montre des endroits que seule je ne découvrirai jamais, se propose de garder mes affaires pendant mes vacances en Suisse, de téléphoner pour les appartements et de les visiter pour moi. Maria prend le temps entre ses trois jobs, ses deux mêmes et son mec de traduire toutes les communications qu’il y a entre le personnel de l’école et moi, ceci sans percevoir un lev de plus que son salaire minuscule, court les bazars pour trouver un jour une lampe de poche pour que je puisse aussi me doucher le soir, me prête une couverture, m’emmène à la poste, m’explique les trajets de tous les bus de la ville pour que je ne me perde jamais, m’accueille chez elles les week-ends pour me changer de la bouffe des restaurants. Son homme, Pavel, sacrifie un dixième de son salaire hebdomadaire pour acheter les meilleurs bouts de bidoche pour me cuisiner des petits plats et acheter la meilleure vodka du coin, il me dessine des plans simplifiés de la ville pour que j’évite de me perdre aussi, m’explique l’urbanisme de Varna (toute sles rues sont numérotées de l’est à l’ouest et du nord au sud) et me prête sa femme à chaque fois que j’en ai besoin et reste à se farcir les diner des enfants, le bain, le ménage quotidien quand c’est le cas. Leur amie a décidé de me faire découvrir la pâtisserie et les vins bulgare et nous rejoint toujours avec quelque spécialité à me faire gouter. Elle se propose de profiter de sa voiture de fonction pour me faire découvrir les environs de Varna et elle me remercie de lui faire pratiquer son anglais ! M. Arracheorganevital se met en quatre pour me trouver un logement lui aussi, m’a trouvé un hôtel ce week-end, m’a attendue avec les petit-déjeuner ses belles mains ouvertes avant de m’accompagner au service des étrangers afin d’y régler mes problèmes de papiers, me trouve un traducteur juré pour la traduction de ceux-ci, va chercher les papiers pour moi, avance l’argent nécessaire, me présente aussi des gens, m’invite un coup à droite, un coup à gauche, me donne de précieux conseils, me signale tous les bons plans et surtout fait le lien entre là-bas (à l’ouest) et ici (l’est) en me servant de décodeur culturel. Les professeurs du réseau ont rivalisé de talent culinaire pour me faire découvrir leur cuisine, font comme si j’étais la meilleure danseuse de kjutchek du monde, m’écoutent pendant les réunions et ont l’air de croie une peu, chaque jour une peu plus, ce que je leur raconte. Mme touffedepoilssurlatete m’apporte des cafés quand elle trouve que j’ai l’air fatigué, laisse tomber sa pause de midi pour me préparer les documents officiels dont j’ai besoin pour la police, court chercher quelqu’un capable de lui expliquer ce que je lui dis quand nous ne nous comprenons pas et a apporté un dictionnaire bulgare-allemand exhumé de ses caisses d’étudiantes pour pouvoir me souhaiter le bonjour dans une langue que je comprenne. Yioulia la prof d’allemand du Technicum m’apporte des photos de ses voyages en Allemange et tire mon numéro à la tombola de l’école. Ianka l’intendante a sans rechigner vidé ma chambre une première fois de tous ses tissus d’ameublement, une deuxième fois d’une partie du mobilier et pour finir ce week-end avec l’aide des femmes de ménage de l’école dont c’était le jour de congé, vidé la chambre de toute matière organique, m’a emmené choisir un matelas ce matin, s’est arrangée pour que les portiers aillent le chercher, m’apporte des couvertures supplémentaires et passe me voir le week-end pour s’assurer que je vais bien. Les portiers, parlons-en des portiers ; le soir quand je rentre, quelque soit l’heure (et Bouddha sait que je rentre tard parfois, et dans un sale état) et en dehors des quelques exceptions dues à la surdité de l’un d’entre eux m’attendent avant de s’endormir, me prient de ne pas m’embêter à fermer les 432 portes qui me séparent de mon home sweet home et le font pour moi alors que je les arrache a leur sommeil. Bouyana, la directrice met son staff à ma disposition et se le met à dos en les privant de la télévision qui était dans leur salle de repos pour la mettre dans ma chambre afin que je puisse capter TV5 et que je ne sois pas larguée de mon monde. Elle m’écoute sans râler lui dire que je pense qu’elle devrait faire comme ci ou comme ça. Les filles du cyber café, non contentes de sourire constamment m’aident à traduire en bulgare une bafouille destinées au service des étrangers expliquant ma présence ici. La dame pipi du Café Santana me laisse utiliser ses toilettes, les plus propres de Varna, alors que je ne consomme rien là-bas et que je n’y entre en coup de vent que lorsque ma vessie véritablement n’en peut plus. Aujourd’hui dans un magasin d’électronique alors que je demandais ou trouver une recharge de batterie, un jeune homme s’est proposé pour m’accompagner dans un autre commerce, m’a conseillé sur le produit à acheter, a négocié le prix pour moi et s’est platement excusé de devoir partir au bout de quinze minutes car il s’était mis en retard pour son rendez-vous. Les clients du pressing s’y mettent à plusieurs pour faire les liens entre les mots que je balance à la commerçante et interpréter ce que je dis. Bon, ok, d’accord parfois toutes ces bonnes intentions ne suffisent pas et elles n’ont rien pu contre les puces, mais quelle importance ? Essayez juste un peu d’imaginer le bien que cela fait quand on est complètement largué dans un pays dont on ne sait rien d’avoir toutes ces présences réconfortantes et serviables autour de soi. Sans parler de toutes ces choses que les bulgares ne font pas mais sont, chaleureux, généreux, disponibles, souriant la plupart du temps, attentifs, passionnés, intelligents, d’une patience infinie quand je tourne les pages de mon dictionnaire, curieux de l’altérité que je représente (aussi bien que je peux), fêtards, sans parler non plus de la beauté de leur pays, des merveilles de leur cuisine, de la richesse de leur folklore et de leurs traditions, de la beauté de leur langue, du charme de leurs femmes et de leurs hommes… Alors qu’est-ce que j’y gagne ? Ben comme dans la chanson de Brassens un gros feu dans le corps qui me réchauffe et me donne déjà l’impression que le temps passe trop vite. Mon ego se sent mieux, mon cœur se sent mieux et du coup, ma tête se sent mieux elle aussi. J’ai l’impression désagréable que je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens et que quelque soit le soin que je mette à décrire à quel point tout ceci m’est bénéfique, salvateur, euphorisant et délicieux, je n’y arriverai pas. Je vous l’ai dit pourtant, je préfère dix mille fois mes puces à mon lit genevois ! Je l’admets, ce n’est pas normal. Parfois lorsque je suis à bout de nerfs et que je continue par bravade à sourire, parce que les choses ne vont pas comme je veux, parce que je me trouve nulle, parce qu’en face de mon on me parle dans une langue que je ne comprends pas et que je désespère même de baragouiner un jour, parce que les galères que vivent toutes les personnes que je rencontre m’atteignent en plein cœur et me font pleurer de sacrés et amères larmes quand je suis planquée dans mon lit, je me dis que je suis maso et que le plaisir ne m’est peut-être perceptible que si il est le corollaire de moments et de prises de conscience difficiles. C’est possible aussi mais cela n’explique pas tout. Alors je parle toute seule dans la rue (je m’en fiche, personne ne comprend) et je me dis que c’est dingue, c’est dingue, pourquoi est-ce que je fais cela ? Pourquoi est-ce que je me farcis des puces ? Je n’en sais rien. C’est bon les puces en Bulgarie. Je suis peut-être pour la première fois de ma vie en train de tomber amoureuse d’un pays. Vu mon masochisme en amour, l’analogie n’est que très logique. Je n’en sais rien moi, je n’ai pas ressenti cela au Mali, et pourtant Thor sait que j’ai adoré cette expérience. Je suis peut-être vraiment maso après tout parce que les US, l’Autriche ou l’Espagne, cela ne m’a pas semblé aussi rigolo. Peut-être que la Suède si j’y était restée m’aurait fait le même effet. J’en était revenue complètement abasourdie de la gentille et de la disponibilité des suédois. Peut-être que dans les pays ou il peut faire vraiment très très froid, les gens sont biologiquement programmés pour répandre de la chaleur humaine ? Peut-être aussi que j’aime être dans la merde ? Quand il y a des problèmes il se passe des trucs, ça bouge dans tous les sens, je ne suis pas là attendre que la vie me donne une autre raison futile de m’en faire. J’ai des vrais raisons de m’en faire et je suis obligée d’être dans le moment à deux mille pour cent, de n’en rien laisse échapper, de faire fonctionner tout ce qui peut fonctionner en moi en même temps. Mais je finasse avec la merde… je m’épanouis au contact de celle des autres alors qu’au contact de la mienne, chez moi, je dépéris. Et bien sur, du coup, forcément, quand en plus d’autre gens viennent à mon aide pour vivre ces moments là avec moi, qu’ils me sourient l’air de penser que je ne suis pas tout à fait normale mais n’en relève pas moins leurs manches pour faire tout ce qu’ils peuvent pour m’aider, je n’ai pas l’impression une seule seconde de sacrifier quoique ce soit, de rater quoique ce soit en Suisse, de souffrir le moins du monde, ou même simplement d’être en train de faire un truc glorieux, louable ou charitable. Qui sait pourquoi ? pas moi, et si partout ou j’ai été jusqu’à présent j’ai ressenti les mêmes chose, en Bulgarie, les similitudes avec la Tatounasie et plus largement l’orient, le dodelinement de tête des bulgares, leurs yaourt (et oui, meilleure que dans vos rêves les plus fous), leur grâce et leur monde, en bloc, tel qu’il est avec ses bons et ses mauvais côtés, m’ont complètement ravie dans le sens premier du mot. Qui sait encore, c’est peut-être ça le coup de foudre ? Vassil, le chauffeur de taxi m’ayant conduite de Sofia à Varna à mon arrivée ici m’avait piqué un bout de mon cœur. Il ne manque plus à mon bonheur que de savoir que la Bulgarie m’aime autant que moi je commence déjà l’aimer…
Je ne vous en aime pas moins.
Prenez soin de vous comme un bulgare le ferait.
Zafrou

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