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K, kolko, koy, keude, tazi, tozi, touk et tam sont sur un bateau...
Aujourd’hui j’aurais pu manger les Alpes, ou encore convaincre Christian Blocher qu’il a tort sur toute la ligne. J’aurais pu reprendre le bâtiment des forces motrices en un seul jour, voir même avoir le temps, à la fin de la journée si j’avais traîné dans le coin jusqu’à l’heure du dîner de vider le lit du Rhône de son fleuve. J’aurais pu éradiquer la lèpre en Inde ou même reconstruire d’une seule main les Twin Towers. Mais, vous l’attendiez, j’en suis sûre, je me suis contentée de passer une journée comme les autres à Varna. Comme les autres c’est à dire pleine de bonnes surprise et de flux positifs. Pour commencer j’ai dormi tant que j’ai pu, mes premières obligations n’étant pas fixées avant le début de l’après-midi. Je me suis néanmoins réveillée assez tôt pour avoir le temps de passer au pressing. Mes copines là-bas sont malades si ne serait-ce que pendant un seul jour je les oublie. J’ai fait quelques courses et j’ai acheté une belle boîte de chocolat pour Ianka et Yourdenka qui m’ont respectivement aidées avec mes puces, mon matelas, mes problèmes administratifs (la poulitzaille). J’ai bu un café avec elles et nous avons bavardé comme de vraies pipelettes par l’intermédiaire de mon superbe guide de la conversation française et bulgare. Nous avons devisé de tout et de rien, principalement des fêtes de fin d’année, de leurs enfants, de leurs soucis et de leurs joies du moment. On aurait presque pu croire que je parlais le bulgare ou qu’elles parlaient le français tant notre caquetage était intense. Je suis même parvenue à expliquer à Yourdenka que selon moi priver une bonne quarantaine de professeurs de leur pause télévision à midi pour me la donner n’était pas très utile considérant que je ne l’ai quasiment jamais allumée depuis que je suis là et que qui plus est, cela risque de me mettre à dos des collègues qui ne voyaient déjà pas ma présence d’un très bon œil. J’ai à cette occasion appris qu’avant mon arrivé le Technicum n’avais pas le câble et que celui-ci a donc été installé à l’école tout spécialement pour moi.. vous y croyez ? Alors que les principales chaînes câblées que je reçois sont en Russe et que je ne sais même pas comment faire une phrase avec un verbe conjugué – sauf peut-être si c’est à la première personne du singulier et que c’est être ou avoir. Après les avoir quittées je me suis peint les ongles en rouge sang pour faire plus couleur locale et j’ai relu le plan de la réunion d’aujourd’hui. Je l’appréhendais un peu comme à chaque fois et encore une fois tout s’est bien passé. Je peste, il est vrai, encore un peu contre M. Moustachegrise qui avait réussi à me faire sérieusement douter des chances même d’arriver à rassembler autour du projet quelques professeurs. Non seulement tout le monde était là, le gang des trois, l’architecte, l’ingénieur, le pédagogue, la responsable Internet, le professeur de littérature, Maria, mais surtout tout le monde était d’excellente humeur et prêt à relever ses manches et se mettre au boulot. Le but de la réunion était de nous répartir les tâches qui doivent absolument être accomplies avant le départ en vacances de toutes et tous. Chacun s’est spontanément proposé pour la tâche qui lui allait le mieux et nous sommes arrivés au bout de l’ordre du jour sans aucune peine. Les minutes des précédentes réunions étaient prêtes, en bulgare et en anglais, et le principe de l’utilité en était pour la première fois accepté mais surtout compris. Nous sommes également tombés d’accord sur un synopsis du projet dont j’ai besoin pour pouvoir durant les vacances partir à la chasse aux partenaires. Alors ouvrez grand vos écoutilles : si vous connaissez au sein de la communauté européenne, une entreprise, une école d’architecture, une fédération patronale, une union d’architectes, ou un école de construction susceptible d’être intéressée par un partenariat avec un réseau d’école varniote, faîtes moi suivre l’information. Maria et moi sommes après ce doux moment d’euphorie professionnelle allées chez elle pour qu’elle puisse manger un peu et vérifier que les enfants n’avaient pas mis le feu à la ménagerie. Puis nous nous sommes séparées. Elle est partie donner son cours d’anglais et moi allée prendre ma quatrième leçon de bulgare. Celle-ci m’a permis de répondre à des questions d’une importance majeure comme :
#comment dit-on la deuxième à gauche?
ftoratafnaliavo
#comment dit-on comment?
Kak
#comment dit-on combien?
kolko
#comment dit-on ou?
keude
#comment dit-on qui?
Koy
#comment dit-on est-ce possible?
Moje li
#comment dit-on celui-là?
Tozi
#comment dit-on celle-là?
Tazi
#Comment dit-on ici?
Touk
#Comment dit-on là-bas?
tam
#comment dit-on je suis désolée de vous avoir marché sur le pied?
#comment dit-on excusez-moi d’avoir renversé mon chocolat chaud sur votre
pantalon beige?
#comment dit-on serveur s’il vous plait?
#comment dit-on à un chien qu’il faut qu’il arrête de vous suivre?
#comment dit-on non, je ne peux pas demain, après-demain si vous voulez?
#comment dit-on je ne parle pas bulgare?
#kakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakakak....
kak?
Et surtout kak se fait-il que lorsque moi je dis kolko les gens se marrent
alors que lorsque Svetlana ou Marian le disent les gens répondent : tve leva
(deux leva)? Pourtant il n y a pas un milliard de manières de prononcer
KOLKO? J’en passe et des meilleures. J’ai vraiment l’impression d’avoir perdu vingt-sept ans de vie et d’être à nouveau au stade du développement humain ou l’on apprend à former ses premières phrases, à articuler les premiers mots de plus d’une syllabe. Parfois, je me dis pour me décomplexer qu’en fait les bulgares prétendent. Qu’au fond, ils parlent tous français et qu’ils font exprès de dire n’importe quoi : kaksikazvate, teupsichotche, azpabotia... juste pour m’embêter. Il parait qu’il y a au moins trente pour cent de mots bulgares qui viennent du français et il me parait bien à moi qu’ils font exprès justement de ne jamais les utiliser quand ils me parlent mais seulement quand je dis heu… « comment on dit remorque ? ».. ben remorque. Avec juste assez d’accent pour que cela sonne exotique. Il est même possible que ce soit un complot absurde ourdi par dieu sait lequel d’entre vous juste pour me rabattre le caquet… (kak-ai). Et là je ne vous cite que les trucs prononçables… et je ne vous parle même pas des accents dont je ne perçois l’existence que par hasard lorsqu’un mot que je pensais connaître et qui me semble devoir être dit cosi et pas cosi est tout à coup prononcé d’une manière qui me semble totalement extra-terrestre… je vous réserve pour le live quelques exemples gratinés. En fait, pour m’en tirer, je suis obligée la plupart du temps de faire une analyse de la situation en bonne et due forme : origine des protagonistes, leurs fonction, leur environnement familial, le catalogage de leurs variables faciales, dissection de leur gestuelle, identification de l’enjeu de la conversation, mesure des tonalités de voix utilisées, divination de leurs intention et objectifs, suivi ultra concentré des regards échangés et je peux vous assurer qu’à certains moments malgré le froid je transpire tant tout cela me prend le cerveau et tant je suis obligée d’utiliser à fond mes petits capacités d’analyse. J’arrive en principe à plus ou moins deviner ce qui se trame et si les gens sont d’accord entre eux ou pas, si ils négocient ou s’ils se mettent d’accord, mais je suis encore incapable de définir qui dit quoi. Et bien évidemment, je vous la fais courte, ce n’est pas parce que j’arrive à comprendre qu’on parle du temps que je suis moi-même capable d’en parler. Imaginez les rires de Maria et Pavel lorsque je leur ai raconté que Mme Touffedepoilssurlatete avait deux filles prénommées Goluma et Malka alors qu’en fait golama (et non Goluma, mais cela m’a semblé logique à moi, après tout, il y a bien un Golum chez Tolkien et les Golems sont les créatures fabriquées par les humains cherchant à égaler la création divine suprême l’HOMME ?) veut dire grande et malka, petite. Pavel, samedi soir alors qu’il insistait pour que je boive encore une vodka, m’a dit : « allons Zafrou, il n’est que quatre heures moins cinq » et est resté coi lorsque j’ai répliqué : « voyons, Pavel, otbeud tchetere bes pet minuti »… il a eu ensuite raison de ma résistance en me disant qu’on ruinerait toutes mes chances e jamais parler cette langue si on ne trinquait pas à mon premier quasi jeu de mot. Phrase d’autant plus inoubliable qu’il était, mine de rien, justement, tchetere bes pet minuti, que j’étais au bout du rouleau et passablement grise. Comme le chantait Billie Holiday « the difficult, I do it now, the impossible will take a while ».
Cette semaine il y a encore bien des réjouissances en perspectives. Diner demain soir avec Maria et Pavel au Paraklis, un des bons restaurants de gastronomie bulgare de la ville, qui a accepté notre réservation malgré l’organisation d’un banquet énorme pour lequel sont prévus orchestre et troupe de danses folkloriques. Pressentant que les bulgares ne se contentent pas de regarder quand ça danse j’imagine que je vais en apprendre long sur le traitement réservé aux personnes se rendant coupables d’homicides involontaires par croche-patte. Jeudi soir je dine avec tous les ingénieurs du Technicum et sans traducteur dans un autre restaurant avec d’autres danses folkloriques et pour finir, vendredi soir je suis invitée par la famille de Viktoria, le professeur d’anglais du Technicum. Je me réjouis de tout cela tout comme je redoute la sauterie chez Monsieur le Maire qui est également au programme. Le gratin des journalistes de la ville sera paraît-il du rendez-vous et je pourrais y aller de tout mon kolko, kak, keude, koy, tazi, tozi, touk et tam pour dire qui je suis et ce que je fais là.
Davijdané (au revoir)
Prenez soin de vous comme un bulgare le ferait
Zafrou
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