Money makes the world go round, the world go round, the world go round...
Cela fait aujourd’hui une semaine que je suis là. Et une semaine également que je vous envoie quotidiennement un compte-rendu. Je tiens à préciser, car c’est apparu dans plusieurs des réponses que j’ai reçues, que ces compte-rendu je les fais essentiellement pour moi. Je prends des notes en scrède toute la journée et des que j’ai un moment je rassemble le tout et j’essaie d’en faire quelque chose qui me tienne chaud au cœur plus tard, quand la Bulgarie sera un souvenir. J’avais beaucoup regretté à mon retour du Mali de n’avoir noté mes impressions que sur les dernières semaines. Je vous les envoie et je vous y parle car cela me permet également d’être plus explicite dans ce que je note. Moins onaniste si vous voulez. Maintenant pour vous rassurer, non, je ne vous en veux pas si vous ne me répondez pas… tiens je ne vous en veux même pas si vous ne les lisez pas. Tous ceux qui ont une adresse e-mail savent quelle mesures prendre avec les mails de spam. Cliquer, supprimer. Il est cependant également vrai que vos courrier me font très plaisir le cas échéant. Alors ceux qui répondent merci et ceux qui ne répondent pas, cessez de vous culpabiliser ou pire m’en vouloir de vous écrire tous les jours. Si y’en a que cela emmerde vraiment, mais pro ou trucs comme ça, dîtes le moi et je vous sors de la mailing list. Voilà. Aujourd’hui donc cela fait une semaine que je suis là et j’ai un coup de gueule à pousser. Je suis déjà nerveusement usée de devoir constamment défendre mon porte-monnaie. Je vous explique : ici les concepts étranger et argent sont intimement liés comme dans tous les pays pauvres. Je sais exactement de quoi je parle, même certains membres de ma famille en Tatounasie m’ont fait le coup « nous on est pauvres, toi tu es riche ». il y a plein de situations ou ma culpabilité pèse si lourd que je baisse la tête et me soumet, à choix selon les situations, aux regards envieux, réprobateurs ou quémandeurs. Je fais avec la plupart du temps, plus ou moins bien. C’est une culpabilité que j’éprouve également à Genève, pas seulement lorsque je suis directement et en permanence confrontée à la pauvreté comme ici, et je pense que je suis loin d’être la seule. Je fais néanmoins partie de ceux qui peuvent fondre en larmes à l’idée de quelqu’un qui a faim ou à la vue d’une personne qui mendie. Ma mère, je me souviens me trouvait trop sensible et s’inquiétait et mon père se reconnaissait en moi et m’encourageait à ressentir de l’empathie avec les moins bien nantis à tous niveaux. J’ai au fil des années adopté plein de mesures psychiques me permettant de vivre avec ça. Par exemple, depuis quelques années je ne donne plus jamais d’argent à personne qui mendie. Je propose un repas. J’imagine que nous avons chacun nos trucs. Enfin, ce n’est pas tout à fait mon sujet, mais une précaution oratoire. Donc je dois constamment défendre mon porte-monnaie… mais attention pas des mendiants, non, des commerçants la plupart du temps. Et pas au bazar seulement, mais dans toutes les boutiques, les restaurants, supermarchés. En Bulgarie, c’est le pièce à cons partout. Dans la plupart des restaurants à Varna par exemple il y a des cartes (menus) pour locaux et pour étrangers. Très pratique car cela permet aux personnes ne parlant pas la langue de savoir ce qu’ils commandent, cependant au passage le commerçant a également traduit les prix qui passent du quitte au double, triple ou quadruple selon les lieux. Ensuite aucun prix n’est jamais affiché. Dans un premier temps, à la fin de la période communiste, cela devait être pour des raisons d’inflation/déflation comme dans beaucoup d’autres pays dont les monnaies sont instables. Mais en Bulgarie cette pratique persiste. Quelque soit le magasin dans lequel tu entres, et même si tu t exprimes en bulgare, ton accent d’étranger est aussitôt repéré et le prix est alors fixé aléatoirement en fonction de ta tronche et de ton look. Y’a des looks riches et des looks pas riches. Un truc qui coute deux leva pour un bulgare te sera vendu à vingt leva sans aucun problème ni états d’âme. Bien sur les prix sont également différents dans les hôtels pour les locaux et les étrangers. Jusqu’ ici ce sont des pratiques que je trouve vaguement ringardes et surtout pas du tout bon signe pour un pays qui dans six ans veut entrer dans l’Europe, mais que je comprends. Par contre, là ou je ne comprends plus c’est quand ça devient franchement malhonnête et que tout le monde, absolument tout le monde trouve cela normal. Exemple: dans tous les restaurants un peu modernes
(pas les gargotes ou les bouibis) les trucs ou vont les bulgares friqués, les touristes, les expatriés bref les gens qui ont un peu d’argent les serveurs se servent sur ta monnaie leur pourboire. Si tu as bu un coca qui a coûté 1.30 leva et que tu as payé avec un billet de cinq, ils rendent la monnaie sur deux leva et s’en approprient 3.70. Un peu comme si ils mettaient la main dans ton sac. Vous me direz… pour nous, 0.70 leva, c’est 0.35 cm d’euros, tout le monde s’en fiche, voir même on s’en sert comme tournevis, mais ici, 0.35 leva c’est la moitié du prix d’une leçon de bulgare, allemand, anglais. C’est vous dire à quel point les gens ne gagnent rien et à quel point les trucs les plus basiques leurs sont inaccessibles (dans ce cas, il s’agit d’un coca). Donc mon sentiment est ambigu. D’un côté on me vole une somme qui n’est rien pour moi et de l’autre on me vole un montant qui est beaucoup pour un bulgare. Il faudrait surement que j’évite ces endroits, mais c’est impossible, ces endroits, c’est partout. J’ai passé une semaine ici et il n’y a pas une seule fois ou ma monnaie m’a été entièrement restituée. Aujourd’hui à la boîte de nuit Xtravaganza ou M. Arracheorganevital m’a conviée à un défilé, j’ai consommé deux eaux minérales et la serveuse ne m’a jamais rendu ma monnaie. Je rappelle la serveuse et M. Arracheorganevital traduit pour moi. La serveuse grogne, se fâche et me dit qu’elle n’a pas de monnaie. Je m’énerve à mon tour et lui réponds qu’elle est dans un commerce et que c’est leur boulot, pas le mien, d’avoir la monnaie. Il s’agit donc de LA boîte de nuit branchée de Varna. Finalement la serveuse me plante en pleine discussion et revient dix minutes après et jette sur la table ma monnaie. Ces dix minutes passées à l’attendre je les ai passées à mariner dans mon jus fait de colère, culpabilité et frustration. Je vous vois venir et me dire qu’elle a pris pour les autres, mais non… elle a pris parce que j’ai soudain réalisé que ces situations continueraient à m’énerver tout au long de mon séjour et qu’il fallait que je prenne mon parti de ces scènes de rétention de monnaie et du combat qu’il me faudrait mener à chaque fois pour faire respecter mon droit à mon argent. D’autant plus agaçant, que j’ai ressenti à chaque fois le confort dans lequel mon interlocuteur se vautrait en me roulant de ma monnaie, ben oui, pas fichu de parler le bulgare et de protester non ? Mais des incidents plus graves dans ce registre là cette semaine m’ont armée à batailler même en chinois s’il le fallait. Il y a eu la caissière de supermarché qui m’a facturé une peluche à quarante euros, le chauffeur de taxi qui m’a fait prendre l’autoroute pour rentrer chez moi d’ou je n’étais qu’à trois kilomètres etc. Money makes the world go round, but Zafrou is square…
Le défilé était sympa sans plus. La bonne surprise c’est qu’il n’y avait pas que des filles mais autant de garçons. Les filles sont sublimissimes et d’une maigreur infinie. La mode et la misère sont ici la main dans la main, je sais c’est triste. Comme partout dans le monde maintenant, c’est un style qui se cultive, mais qui n’enlève rien à leur beauté. Essentiellement des brunes, avec des yeux miel, en amande, superbes. Les hommes sont moins beaux, mais comme on est moins regardant avec la gente masculine, ce n’est pas si grave. Quand en plus ils paradent nus, on est encore moins regardantes je pense, enfin, au sens figuré, parce qu’au sens propre, je me suis rincé l’œil. Certaines des poses jouées étaient un brin glauques, mettant en scène l’homme ou la femme en position de bête battue, mais comme c’est la mode, j’avais déjà vu et j’ai pu faire la blasée. Nous avons eu droit au fouet, au martinet, aux divers strings et autres accessoires plus porno que mode, mais la limite étant de plus en plus flou ces temps, encore une fois je n’ai même pas été choquée. DJ Jijo ( !!) a mis tout cela en musique et abondamment commenté les poses (et c’était bien le pire). Je me suis beaucoup amusée, un peu ennuyée et j’ai été ravie de faire la connaissance de Svetlana Svetlanova bien qu’un peu gênée de lui imposer dès notre première rencontre un des mes fameux coups de gueule… Nous sommes ensuite allés dîner dans une cave ou je me suis gavée de lait fermenté et de chopska salata (rha lovely). En sortant de là, il neigeait. La première neige de l’année à Varna, sur fond de vent violent. Mirarou me disait aujourd’hui qu’à Genève la bise soufflait, mais ici c’est l’ouragan et je n’ai pas encore réussi à faire fonctionner le toaster qui me sert de chauffage durant les week-ends. Ceux qui m’ont téléphoné aujourd’hui riront longtemps de m’avoir surprise me réchauffant avec mon séchoir à cheveux… Demain je m’achète des bottes pour pouvoir aller sur la plage voir la tête de la mer noir sous la neige. Quitte à mourir de froid, autant que cela soit en bahriya, au bord de la mer et en poésie tant qu’on y est.
La soirée chez Maria et Pavel était très chouette aussi. Pavel, pour avoir bossé un temps à Dubai parle un peu l’arabe et nous avons donc communiqué en bulgaro-arabo-anglais en nous faisant traduire l’essentiel par maria. Nous avons dîné avec leurs deux enfants, le chien, le chat et les deux tortues et avons été rejoints par une amie de Maria. Les salades de légumes et de poissons étaient délicieuses et la carpe était infâme. Franchement il n’y en a pas un qui aurait pu me prévenir que la carpe ce n’est QUE du gras ? Ne me dîtes pas que personne parmi vous n’avait jamais mangé de carpe, j’ai cru mangé de l’huile hydrogénée solidifiée et pourtant Pavel insistait sur le fait qu’il n’avais pas mis d’huile du tout et que c’était là le charme tout particulier des carpes que d’êtres aussi grasses. Infect, et je suis pourtant certaine que pour qui aime ce poisson cela aurait été délicieux étant donné que c’est Pavel qui a tout cuisiné et que tout le reste était à se lever la nuit pour se resservir. Arrivés à un certain niveau de consommation d’alcool, la discussion est évidemment devenue politique (communisme or not communisme), puis économique (le coût de la vie est un concept qui échappe étrangement aux bulgares quand il est transposé hors de la Bulgarie). J’ai payé pour tous les riches de ce monde forcément et à un moment donné, j’aurais tout donné pour être ailleurs, par exemple dans une chambre à savon de l’armée tatounasienne… Maria a heureusement mis fin à cette conversation insoluble en nous suggérant d’en reparler à jeun et non pas imbibés de Rakiya comme nous l’étions. Je suis rentrée à quatre du matin, gaillarde mais titubante et j’ai eu la chance de tomber sur un chauffeur de taxi sympa. Ce matin, comme je vous l’avais déjà dit, j’ai souffert, mais je ne regrette rien. C’était beau, c’était chaleureux, c’était gai et enrichissant.
En réponse à Dar qui me demande si c’est vraiment la misère, oui, ça l’est. Mais c’est une misère capitaliste ou ce que j’appelle american misery. Les gens ont du mal à se nourrir, se chauffer, mais sont tous sapés comme des designers et les rues sont pleines de boutiques et de restaurants chers et occidentaux. Nike, Addidas, Reebok, Raymond Weil, Patek Swatch, McDo, Pizza Hut etc, encore plus frappant qu’à Casablanca, mais dans des proportions différentes. Impossible d’imaginer comment ces boutiques survivent, si elles survivent. En apparence ici tout va bien, mais quand tu prends conscience du niveau des salaires, du niveau des services, du coût de l’électricité et du pain tu réalises qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C’est une misère organisée, d’un côté certains cumulent des jobs pour pouvoir acheter un paire de Nike à leurs enfants qui se la partageront en la portant à tout de rôle, de l’autre, les autres comme Maria et Pavel subissent une pression affreuse de ne pas pouvoir le faire malgré le cumul des emplois. Un peu comme si la pression consumériste ne cessait d’augmenter pour donner le temps à ceux qui s’en mettent plein les fouilles de pouvoir le faire le plus vite possible car bien sur, ça ne peut pas durer en théorie… Les bulgares sont vraiment passés du communisme au capitalisme en un jour. Ils se sont réveillés un matin et on leur a dit c’est fini maintenant, buy and sell !
Zafrou qui vous enneige
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