jeudi 15 novembre 2007

Bulfuckingarie ou le journal d'un passé en mouvement, chapitre 2


Dober den (bonjour) à tous
il y en a qui doivent se demander si vraiment j'ai pas d'amis ici en Bulfuckingarie pour être tout le temps en train de leur écrire comme ça... je tiens à les rassurer, certes je n'ai pas d'amis ici en Bulfuckingarie mais cela ne saurait tarder. Dès que cela sera chose faite je m’empresserai d’oublier les anciens amis et ils cesseront ainsi d’être importunés. Et oui forcément pour l'instant je ne connais personne ici qui puisse véritablement bénéficier de mon esprit si brillant et avec qui communiquer mais dès que cela sera le cas je n'aurais
plus besoin de vous. Voila comment je m'efforce de me faire des nouveaux amis. Tout d'abord, à chaque fois que je rencontre quelqu'un qui fait mine de comprendre mes borborygmes je lui tends ma carte de visite. Je pointe le doigt sur l'inscription faite au stylo et précise en tapotant la carte et en soulevant autant que se faire possible les sourcils: gué ess emm boulgaria. Ca marche puisque ce matin j'ai eu mon premier coup de fil de gué ess emm boulgaria à gué ess emm boulgaria. Je fais d'énormes efforts linguistiques également... sans accorder plus de crédit que cela à la voix qui chuchote en moi que si je continue comme cela je finis à l'asile ou pire en linguistique à l'université je passe du français à l'italien en faisant une promenade du côté de l'allemand et de l'anglais. Je ne rechigne même pas à sortir mon guide de la conversation bulgare et à dire d'un air tout à fait intelligent (j'ai un petit miroir et on me la fait pas à moi c'est l'air le plus intelligent que j'ai vu de ma vie):
- na kolko ste godini? (quel âge avez-vous? question que je pose à tout bout de champ, quelque soit la conversation ; en effet c'est une des rares phrases que je connaisse par cœur alors je frime et/ou rentabilise) ;
- toy e prekrassen (il est magnifique ! et oui a l'école il n y a que des femmes pour l'instant mais dans la rue il y a des hommes...) ;
- as sam na triysset godini (j'ai 30 ans. C'est pas vrai, mais ca fait rien, c'est bientôt le cas et si je fais toutefois encore un petit geste de la main pour signifier #à peu près# il n'en reste pas moins que psychologiquement cela peut pas me faire de mal) ;
- as ne poucha (je ne fume pas que j'essaie intensément de ne pas remplacer par avez-vous une cigarette, cela tombe bien cela je ne sais pas encore comment le dire)
- sas kogo imam tchesta da govorya (à qui ai-je l'honneur? pas mal aussi mais en vrai j'ai pas encore osé la sortir).
En fait Guido m'a donné ce guide de la conversation franco-bulgare qui a probablement été publié au début des années 60... Le plus drôle c'est que les indigènes ont l'air de trouver cela CHOU. Et cela fait du bien à mon ego, car il y avait bien longtemps que personne ne m'avait trouvée CHOU (sic). Toujours dans l'idée de ne plus avoir un si grand besoin de vous je me suis rendue à la mosquée aujourd'hui. Je sens qu'il y en a plusieurs que cela va faire frémir alors je préviens, la suite de ce mail n'est destinée qu'à un public averti qui sait remettre les choses dans leur juste contexte. Donc, la mosquée... en fait demain c'est le dernier jour du mois de Ramadhan. Le lendemain a lieu la fête de la Aïd (ou Bayram dans certains pays). Il s'agit de l'une des fêtes religieuses musulmanes les plus importantes. Depuis ma petite enfance j'ai pour habitude ce jour la de m'habiller de neuf des pieds à la tête, de recevoir un peu d'argent de ma famille, d'en donner moi-même à de plus nécessiteux et également de me rendre bellement vêtue à la mosquée pour communier, et aussi manger de super bonnes pâtisseries il faut l'avouer. J'ai donc demandé dimanche à Katia et Guido où était la mosquée de Varna et je leur ai expliqué de quoi il s'agissait. J'étais un peu étonnée que dans un pays où il y a 14 % de turcs et une frontière commune et dans une si petite ville, ils ne soient même pas au courant de l'existence de cette fête (ils savent lire donc, je précise pour les esprits suspicieux). Ils m'ont dit ne pas savoir si la mosquée était active ou pas. C'est là que Maria entre en jeu. Je fais un aparté j'adore ca. Maria c'est la prof d'anglais du lycée et mon guide. Elle donne également des leçons particulières d'anglais a l'école de langue de Guido et Katia. Elle me suit partout (ou plutôt me précède pour être exacte) depuis hier matin. Nous parlons anglais et elle me sert de décodeur canal plus pour tout et n'importe quoi. Qui plus est, elle est sympa, intelligente, courageuse et drôle. Nous passons donc de très bons moments déjà et c’est ma meilleure piste de copine pour l’instant. Bref elle et moi débarquons à la mosquée cet après-midi. Elle n'y connaît rien à l'islam mais est curieuse aussi de voir comment cela va se passer. Nous arrivons et sommes accueillies par un petit vieux tout à fait adorable (ne ris pas Sonia). Je le salue en arabe, il me salue en arabe puis je demande à Maria de lui demander ce qui se passe au juste pour le Bayram (forcément pour lui l'arabe c'est comme le latin, une langue morte je n’avais donc que le très handicapant choix entre le turc et le bulgare pour me faire comprendre). La conversation a duré quinze minutes durant lesquelles j’ai rapidement compris que je suis je n’étais pas la bienvenue pour la Aïd. Je l’étais éventuellement aujourd’hui, demain, le soir, le matin, quand je voulais mais pas le jour de l’Aïd. Pourquoi? Ah ben heu ce jour là, la mosquée est interdite aux femmes. Pourquoi? Ah ben c'est comme ça, c'est une célébration. Ah mais heu moi aussi je veux célébrer? Ah ben alors il faut célébrer chez toi ! Ah mais heu moi je croyais que la mosquée c'était house of muslims, house of all muslims? Ah oui heu, sauf quand c'est des grands moments, là c'est house of men. Ah mais merde et les gâteaux qui va les préparer? Ah ben tu prépares les gâteaux toute seule. Enfin j'ai pas été jusque là mais en gros c'est cela l'idée. Le jour du grand Bayram, une des fêtes musulmanes les plus importantes, voir la plus importante, celle où tous les musulmans (hommes et femmes) célèbrent ensemble, et bien chez les musulmans de Bulfuckingarie, les turcs, les femmes ne peuvent pas célébrer dans la maison de leur dieu, elles sont persona non grata. Bon, je me console en me disant que cela doit être pareil dans plein d'autres pays musulmans. Mais enfin, ceux qui croient vraiment que cela me console ne me connaissent pas bien. Pourtant, il était mignon ce vieil imam, et il dodelinait de la tête d'une façon tout à fait charmante. Pendant quelques secondes j'avais même pensé que lui aussi pourrait être mon ami et recevoir ma mailing liste. Mais non. Bon tu me diras j'ai été un peu naïve parce qu’il ne nous a même pas fait entrer dans le hall et nous a laissées sous la pluie. Apres coup je me suis dit que le manteau en fausse fourrure léopard gris et noir (super joli je te vois venir Sfoujida à dire que je me suis récupéré la seule prof de l'école à faire pute à mi temps, il est joli ce manteau je le REPETE) de Maria, son rouge à lèvres rose fluo et mon haleine mentholée de jeune fille qui n’est pas jeune mais a bel et bien mangé un truc à l’ail et bu une bière brune (bulgare et délicieuse) devaient y être pour quelque chose. Mais enfin, alcoolique ou pas… je suis tout de même musulmane et je pensais toujours être accueillie partout en tant que telle. C’est à dire avec un minimum de chaleur humaine. Il aura l’air con le petit vieux quand pour me venger je me pointerai avec mes valises en dodelinant de la tête moi aussi en lui disant en bulgare « Je ne sais pas où dormir, occupe-toi de moi petit dodelineur » (Ah fantasy, fantasy quand tu nous tiens !). Bref le petit vieux n’a pas voulu être mon ami et tout comme au Mali, j’avais à peine mis deux jours pour comprendre que la légende de la solidarité africaine était non pas une légende, mais bel et bien un mythe. J’ai mis deux jours ici pour comprendre que l'hospitalité et l'universalité de la chaleur de l’accueil musulman sont tout aussi mythiques. J’en suis navrée et triste. Super énervée aussi je l'avoue. J'ai bien envie d'y aller quand même jeudi mais je ne sais encore laquelle de moi écouter. La scandaleuse ou la sage (bon maintenant ceux qui n'en connaissaient qu'une sont sous le choc de découvrir que nous sommes deux, c'est pas plus mal, un jour ou l'autre ca aurait fini par se savoir). Bien... Assez bavardé, il faut que j'aille me faire des amis au gouroulata (cantine communale dans mon quartier ou je peux manger de la gastronomie bulgare en self service et à moins de 20ct d'euros. Et sachez le, il n’y a aucune ironie dans l'utilisation du mot gastronomie de ma part, c'est délicieux). En vrac quelques réponses à vos mails particuliers :
Eric> ma soeur Mirou me dit qu'il vaut mieux que je rentre à Genève à nouveau fumeuse que nouvellement lesbienne
Mirou> mon ami Eric préfère que je sois lesbienne et que je lui présente des copines
Rapha> Ne t’inquiète pas si j'ai le moindre soupçon que je puisse faire profiter quelqu’un ici de mes précieuses amitiés, je le ferai savoir
Saphia> les élèves ont entre 14 et 21 ans. C’est un réseau de lycées techniques. Pour les langues de travail, comme je l'ai dit ci-dessus, tout est bon à prendre : si je tourne ma tête sur la gauche anglais, à droite allemand là-bas derrière italien et bulgare, bulgare, bulgare. Sans blaguer c'est super dur et en moins de deux jours je n'arrive déjà plus à m'exprimer correctement en français à l'oral sans hystériquement cligner des paupières. Manger: super bon. Entre l'oriental, l'occidental et le méditerranéen. Dans les pires gargotes tu trouves des trucs divins qu'on vendrait en Suisse dans les épiceries de luxe. Pareil pour la pâtisserie à ce que j'en vois (sans avoir goûté encore néanmoins).
Sfoujida> loft story 3 cela m'étonnerait. Faudrait trouver quelqu'un que la spéléologie intéresse (le fond de mes toilettes est ce qu'il y a de plus croustillant à voir dans ma piaule vu que les vers et moi y vivons seuls).
Sonja> T'inquietes pas, cela ne m'inquiète pas, je sais bien que c'est comme cela que c'est normal.
Bon, sérieux, vous inquiétez pas je vais bien et pour l'instant vous êtes tous en train de m’aider à mettre au point un journal de bord !
Je vous bise tous et vous aime tryabva da zaminavam (je dois partir) pozdravete fsitchki (bien des choses a tout le monde, faîtes moi penser à vous parler de l'alphabet cyrillique)
Zafrou
PS : faites moi penser à vous raconter ma nuit avec un frigo.
PS2 : pareil ceux qui veulent plus être harcelés ou qui ne trichent pas avec les horaires de bureau pour surfer sur le net ils ont qu’a le dire et je les sors de la liste.

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